Ce jour-là, dans le ventre chaud de la cuisine

-Histoire librement inspirée par la photo de Ramona Sisbane (France)-

– Kenza et Fatiha, Alger, 15 avril 1970 –

Ce jour-là, notre enfance était là, tout entière, forte, sans hiver, sans hier, sans demain, nous engloutissant ma soeur et moi dans le bonheur simple de l’instant présent.

Maman était adossée contre l’évier de pierre. Elle nous observait. Nous étions en train de jouer sur la table de la cuisine, quand elle nous a appelés pour saisir l’instant en photo. La lumière était blanche, comme sur la ville d’Alger. Il régnait dans la pièce une sérénité propre au calme naturel de notre mère, toujours souriante, toujours caressante. Avec maman tout était merveilleusement immobile, comme les photos qu’elle s’appliquait à ranger consciencieusement dans les albums de famille. Grâce à elle, notre maison était devenu un ventre chaud et rassurant. Un ventre familier et protecteur.

Ce jour-là, à ce moment-là, je me souviens, elle a posé son appareil photo et a claqué dans ses mains dans ma direction. Je le savais, c’était l’heure de la toilette, le rituel de toutes les fins d’après-midi, après l’école. Après m’avoir déshabillé, maman me hissait dans l’évier de pierre. Un moment de fraicheur dans mes souvenirs. Je me laissais frotter par sa main gantée et savonneuse, plutôt énergique. Un instant délicat et attendu ; le passage entre mes doigts de pieds qui se crispaient et se recroquevillaient. Nous en riions toujours ensemble et ma soeur, témoin de la scène, aussi. Rien n’a jamais été effrayant dans cette cuisine, on y respirait l’odeur du pain et du savon. C’est là que j’y puisais ma force, là où j’apprenais qu’il existait des endroits où l’on n’avait pas à avoir peur et que la confiance était un pur bonheur.

Puis c’était au tour de ma soeur et toujours ce rire si joyeux qui résonne encore en moi …

Parler de son enfance, c’est parfois évoquer un parfum, une image, souvent un presque rien, qui serait une histoire de tout. Mon enfance me colle toujours à la peau, me fait parfois revivre le froissement d’étoffe des robes de ma mère qui me mène à la sensation d’un déjà vécu.

Ce jour-là, comme tous les autres jours de mon enfance, dans cette petite cuisine, je me souviens de ma mère qui nous frottait le dos en riant …

Fathia (qui ouvre toutes les portes), 26 mai 2012 


La véritable histoire de cette photo :

« Cette photo est un souvenir d’enfance, à l’école maternelle au Creusot. Je suis avec ma petite soeur Fadina. C’est tout ce qu’il me reste de cette photo, mais j’y suis très attachée. » Ramona Sisbane

3 Comments

  1. J’adore, c’est comme un joli conte d’hiver qui redonne de la chaleur si sereine et gaie.
    Et me rappelle aussi des rituels quand après le bain que maman nous mettait des pyjamas chauds et papa nous embarquait sur ses épaules et courrait dans toute la maison nous faisant crier et éclater de rire en arrivant près des cadres de porte.

    C’est un joli conte de Noël.

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  2. Comme d’habitude je plonge dans cette histoire et c’est un moment de pur bonheur. Un instant dans cette cuisine où il faut si bon vivre….un havre de paix. Comme cette petite histoire familiale fait du bien!. Merci Hanicka😙

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